samedi 6 décembre 2008

Je m'arrête ou je continue ?

2h30. L'heure du «last call» a sonné dans la majorité des bars et bistros de Boucherville. Les appels à la centrale commencent à entrer et les lignes téléphoniques ne dérougiront pas pendant une bonne heure. Les répartiteurs, particulièrement Jacques, un grand Jack, c'est le cas de le dire, va passer un bon moment à jurer et maudire les nombreux clients de bar qui appelleront en double, faute de vouloir redonner leurs prénoms à leurs premières tentatives et histoire de ne pas envoyer «en double» nos taxis déjà en nombre restreint.

Ce qui équivaudra aussi à multiplier les pages d'appels de l'écran d'ordi de Jacques. Il en avait deux avant le «train» (le rush, dans notre jargon) de 3h00. Il en aura sûrement quatre ou cinq à peine 10 minutes passé la fermeture officielle. Il a l'habitude mon Jacques, mais chaque fois, à l'approche du train, il grince des dents à l'idée de devoir traverser la mini tempête qui éclate à chaque vendredi, samedi et même certains jeudis de la semaine.

Mais cette fin de semaine sera différente. Elle sonne le départ à la course aux cadeaux pour la période des Fêtes. Les magasins fermeront leurs portes, en semaine et heureusement à 21h00 précise. Les nombreux «partys de bureau», ont déjà débuté depuis le début du mois et vont s'étirer de plus en plus tard. On voudra continuer de consommer alcool sur alcool.

2h45. Je freine devant le club La Commission des Liqueurs. Le chic club du beau et nouveau quartier de Boucherville, et tout près du Centre Multiculturel. Un lac aménagé, faisant face aux portes du club et dont j'ignore encore le nom, est un vrai chef-d'oeuvre en aménagement paysagé. Il est aussi à quelques pas du très chic resto-bar le Novello, un Haut de Gamme reconnu pour sa fine cuisine italienne et où les fines bouches se rassemblent en grand nombre parmi les tables parsemées de chandelles décoratives et qui met l'ambiance du restaurant vraiment en valeur.

2h55. J'attend que mon client se présente à ma voiture. Il le fera enfin. Deux types assez costaud s'avancent vers la portière côté passager et l'un deux me fait signe de baisser la vitre, ce que je fait.

- «On attend mon chum pis on part. Ça sera pas trop long. Vous allez à Carignan ?»

- «Oui. Je peux même aller jusqu'à Québec si vous voulez. Mais à vous voir, je me doute bien qu'on y pensera même pas.» C'était ma joke habituelle, pour faire rire la clientèle. Briser la glace. La plupart du temps, ça marchait bien. Mais pas cette nuit.

- «Attendez-moi, je vais le chercher.» Et le grand Jack parti chercher son copain.

Après quelques instants qui m'avait paru plutôt long, j'ai reconnu mon futur client ressurgir du cadre de porte du club avec un autre gaillard qui semblait avoir du mal à marcher droit. Son copain était carrément ivre. Après quelques difficultés à se rendre jusqu'à la portière, celui qui portait l'autre l'installa sans peine et fit le tour du taxi. À peine assis et au son de la portière qui se referme, mon signal de départ, j'ai décollé pour laisser enfin la multitude de quêteux de taxi sur le trottoir à me fixer dédaigneusement. À regarder mon taxi s'éloigner, prendre de la vitesse pour quitter ce lieu d'enfer qui semblait encore coller à mon pare-choc arrière. Un soulagement sans borne.

Je roule sur le Boul. de Montarville à vitesse normale et vire à gauche à la lumière de trafic pour prendre la bretelle menant à l'autoroute 20 Est. Elle me dirigera ensuite vers la 30 Ouest. Vers Brossard, Châteauguay. À peine embarqué sur la 30, et à peine quelques mètres consommés, le plus grand des deux, celui qui pouvait parler et qui était assis juste derière mon siège, me fixa dans le rétroviseur pour me demander d'arrêter la voiture. Cete fois, je ne me posais même pas la question. J'avais déjà une bonne idée de ce qu'il allait m'arriver : la période de vidage de bols gastriques.

Je savais pourtant que ça allait arriver dans les jours qui allaient venir. Mais pas si tôt. Surtout pas cette nuit. Mais... oui. Et moi qui n'a pas le coeur solide... C'est vrai ! Au moindre son qui ressemble à du vômissement, mon visage vire au vert cramoisi. Ce qui me donne envi de vômir, c'est de voir ou d'entendre quelqu'un... vômir. La pire situation pour un chauffeur de taxi. Si je salit la voiture, je perdrai en partie ma source de revenu pour le reste de la nuit. J'appréhende la situation à chaque soirée de boulot, mais je ne m'attendais pas à ça si vite.

Après un premier arrêt, le gars assis derrière moi aide son copain, moralement, à sortir du taxi pour faire la toilette de son estomac. Les feux de détresses actionnés, les fenêtres ouvertes toutes grandes, j'attends que le copain ait fini. Et moi, je ne pense qu'à une chose : arriver au plus sacrant. Mais ne riez pas. On va prendre une éternité à se rendre chez eux. Une éternité. pour moi surtout. Un bon dix minutes plus tard, l'autre se réinstalle de peine et de misère, le visage aussi vert que le mien et referme la porte. Le bavard derrière moi me dit que c'est ok. je me remet en route.

- «Roulez pas trop vite, m'sieur. Les bosses vont le faire vômir.» Ah non, c'est pas vrai !

- Je rétorque : «Plus vite on va rouler, plus vite vous aller être chez vous, vous comprenez ?» J'ai dû rouler à une vitesse plus que réduite. À 60 km/heure, sur l'autoroute, ça commence à être long. Et plus je roulais lentement, plus je regardais le gars assis du côté opposé. Il avait vraiment l'air malade. Sa tête fixait le plancher, comme s'il essayait de se concentrer sur l'unique but de sa pensée : ne pas vômir dans la voiture de taxi. Je les avait averti au départ : au moindre son de ... vous avez quoi, je devrai augmenter mon tarif. Pour la perte de revenu pour les heures perdues, et pour le prix d'un lavage pour ce genre de cas. Bon Dieu que le voyage allait être long.

Finalement, j'ai stoppé le taxi une autre bonne dizaine de fois. le type derrière mon dos venant à l'aide de son chum et l'encourager joyeusement à prendre son temps. Moi, tant que le malade parvenait à se rendre dehors, je m'en foutait. Je regardais le compteur tourner, tourner et je trouvais cruel, en quelque sorte, de le laisser continuer. Après tout, pourquoi faire ? C'est eux qui ont bu. Pas moi.

- «Ok m'sieur. Vous pouvez y aller. Mais pas trop vite s'il vous plait.» Ben oui, me dis-je intérieurement.

- «En autant que vous me disiez le chemin quand on va arriver. Ok ?»

- «Pas de problème, m'sieur.»

Finalement, on a fini par arriver, à carignan. Une petite localité entre Saint-Hubert et Chambly. Pour quelqu'un qui veut la paix et la tranquilité, c'est l'endroit rêvé. Pour le coût des taxes aussi. Je suis entré dans l'allée de petites pierres menant à son logement. C'était une belle grande maison. Mon client «plus sobre» sortit le premier. Suivi de son comparse, en titubant difficilement, il essaya de fermer son côté de porte. Elle était dur à fermer, mon Impala datant de 2002. Un dinosaure pour un taxi.

On me paya par carte de crédit, une Amex. Le montant s'était élevé à une bonne cinquantaine de dollars mais à voir le genre de carte, le titulaire ne devait pas être un «tout nu». Malgré tout, j'ai demandé une authorisation finale à la centrale. Après quelques secondes, Jacques me répondit le plus sérieusement du monde que la centrale ne pouvait pas émettre l'autorisation avant quelques temps. Quoi ? On était pas dimanche matin pourtant. Juste samedi matin ! Mais comme ça roulait à Boucherville, je ne pouvais pas me permettre de m'attarder inutilement. Je devait me fier à la bonne foi de mon client. Après avoir raccroché le microphone, j'informai le client de la situation et que je devais prendre ses coordonnés au cas où. Il comprennait mon incrédulité mais se plia de bonne grâce à la procédure.

Et j'ai pu quitter les lieux enfin. Soulagé, certes mais tout de même avec le coeur fragile. Tout en accélérant sur la 30 Est en direction de Boucherville, j'ai comme eu une sensation bizarre. Une odeur fétide planait dans l'air. Ben voyons, ça se peut pas. Le gars était toujours sorti pour se soulager l'estomac. Mon imagination me joue des tours. Peut-être leur haleine d'alcool, mélange de bière, de shooter et je ne sais quoi d'autres flottait encore dans l'air. J'ai ouvert ma vitre de moitié et l'odeur a fini par se résorber pendant le retour. Enfin, je venais de vivre un voyage des plus difficiles. En espérant que ce sera la dernière fois avant le Nouvel An...

Bonne fin de semaine et bonne nuit !

Ma signature autorisée

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Calvaire t'es un saint!

Moi pis le vomi là.... EURK!!!

Anonyme a dit…

Moi je ne m'étais pas arreté et le client s'était soulagé en baissant la fenetre.
Résultat: un lavage obligatoire car son souper, aidé par la vitesse et le froid, s'étalait en une longue trainée sur toute l'aile arrière...

Anonyme a dit…

@ Jean S. : Au moins le souper n'était pas étalé à l'intérieur... Ce qui a pu t'aider à continuer ta nuit et d'embarquer des clients.

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